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A Cuba, la répression continue de tétaniser la société civile

La nuit tombe à La Havane et, dans un bar de la vieille ville, plusieurs artistes se retrouvent, heureux, après des mois de séparation. Certains étaient à l’étranger, d’autres ne sortaient guère de leurs ateliers, quand quelques-uns travaillaient dans l’industrie touristique pour remplir leur frigo. « En tant qu’artistes, nous avons le privilège de pouvoir voyager pour participer à des expositions ou des résidences à l’étranger », raconte Eduardo (tous les prénoms ont été changés), un peintre, de retour d’Europe. Un de ses amis lui demande, le regard malicieux : « As-tu pensé à ne pas rentrer ? » Eduardo soupire : « L’éternelle question qui revient à chaque voyage, car il serait facile de filer à l’anglaise, comme en rêvent beaucoup de jeunes Cubains. »
Alors que le pays fait face à la pire crise sociale de son histoire – près de 500 000 Cubains auraient quitté l’île ces dernières années, le plus souvent dans des conditions précaires, vendant tout ce qu’ils possédaient –, Eduardo est cependant rentré : « D’abord, ma mère est âgée, et surtout j’aime profondément ce pays, malgré toutes les difficultés. »
Dans ce groupe, personne n’a envie d’engager une conversation sur la politique. Eduardo n’a jamais défendu le gouvernement cubain, mais il se refuse également à se ranger du côté de l’opposition. « Ils utilisent des artistes pour leur cause et je ne trouve pas cela correct », explique cet homme à la forte carrure. « Si tu es comme l’artiste cubaine Tania Bruguera, qui met en scène son activisme, tu as le monde de l’art à tes pieds. Mais sinon, tu n’intéresses pas les collectionneurs et les galeries, qui recherchent uniquement des artistes qui critiquent le régime et qui sont exilés à Miami, à New York ou à Madrid », estime-t-il, amer, devant ses amis qui acquiescent.
Le milieu artistique est souvent présenté comme le cœur de la contestation au régime cubain, en particulier depuis la création du Mouvement San Isidro, en 2018, pour s’opposer à un décret obligeant les artistes à déclarer toute activité au ministère de la culture. Ces cinéastes et musiciens ont réalisé diverses protestations ces dernières années, dont des sit-in et des grèves de la faim dans plusieurs villes. Ils ont aussi composé une chanson, La Patrie et la vie, devenue le slogan de leurs manifestations, en opposition à celui de Fidel Castro, « la patrie ou la mort », peint sur bien des murs de l’île. « Ce slogan, “la patrie et la vie”, a été beaucoup plus parlant que n’importe quelle analyse politique et il a eu un vrai écho au sein de la population », considère Janette Habel, chercheuse à l’Institut des hautes études de l’Amérique latine à Paris et spécialiste de Cuba.
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